Le Pays de la Meije, Sauvage, tour à tour Patagonie sous la tourmente, Himalaya rempli de spiritualités, steppes mongoliennes et terrasses à l’assaut des pentes, western tibétain, sagesses et vertiges des Hautes Alpes
Gérard M, Pisteur, première rencontre avec le loup, Parc National du Mercantour
Un loup, c’est pas possible ! Ça te provoque un choc émotionnel, ça te marque la tête !
C’est une chose de voir les crottes, le sang… On est dans la fantasmagorie. Là, c’est le réel qui surgit devant toi !
Et son regard, quel regard !.. Oblique, c’est un regard de prédateur, il te fixe de face, il te fouille, il prend le temps… On ressent un abîme, on a plus grand chose en commun.
Je suis là, je suis revenu, on fait comment maintenant ?
Il te questionne – “cette nature tu l’as bousillée, comment fait-on maintenant ? »
Il est là, ça change la donne, on descend de notre piédestal, ça nous oblige à voir les choses autrement.
ça nous oblige à reconsidérer notre rapport au vivant, il est une sorte de miroir de ce que nous sommes devenus.
Marie-Odile V, Consultante en voyage accessible comptoir des voyages, se déplace en fauteuil roulant
J’ai grandi avec le choc constant de ce que les autres projettent sur moi.
J’ai vite compris que si le monde ne venait pas à moi spontanément, c’était à moi de venir à lui pour m’y sentir bien. Le choc rend prisonnier, impose son cadre. Ma liberté, c’est foutre des coups de pieds dans les représentations qu’on se fait de moi.
Je suis dans l’impérieuse nécessité de trouver mes propres clés pour m’adapter à un monde qui à priori n’est pas fait pour moi :
– l’art car il est sans convention dans la représentation des corps qu’il propose
– le voyage parce qu’il mobilise mes capacités à me projeter en avant, à prendre de la distance sur moi, à trouver des solutions de bon sens pour résoudre les difficultés
– transmettre via ma singularité car ce qui est utile au petit nombre sert le plus grand nombre, ça donne du sens.
François T, Sous-direction anti-terroriste, quelques minutes après l’attentat de Nice
C’est un mélange immédiat d’une double sidération : sidération d’effroi, et sidération du fait de ce que ça déclenche en toi, que tu appréhendes ça comme un cas professionnel.
Je décompose la procédure : 4 km de scène de crime, des dizaines de milliers de témoins, 40 nationalités, 25 langues…
Je suis sidéré par ma réaction, ça me questionne : c’est pas anodin de constater que tu es un professionnel, dont les réflexes sont d’abord professionnels avant d’être quelque chose d’autre, avant même ton identité profonde.
Adrien B, Anesthésiste – Réanimateur, Responsable du service de réanimation de chirurgie cardiaque, Hôpital de La Pitié-Salpêtrière
C’est moi qui crée le choc. Si les gens ne sont pas choqués, c’est qu’ils n’ont pas compris mon message.
Il s’agit d’informer les proches sans se réfugier derrière des mots inintelligibles. On ne peut pas se retrancher, se protéger.
Il peut y avoir un mécanisme protecteur pour garder de la distance ; forcément, quand on se rapproche, on s’expose plus.
La singularité de notre discipline, c’est d’humaniser ce moment précis par rapport à une spécialité de la médecine très protocolisée. Et sur cette gestion humaine, il n’y a pas d’algorithme !
Notre enjeu c’est d’humaniser ce choc, ça touche à la singularité de chaque médecin.
Quand les proches ont un rejet de ce qu’on leur dit, on peut être agressé ; mais après une annonce difficile, il arrive très régulièrement que les proches nous remercient. Là on se dit qu’on est dans le vrai, car en réalité notre marge est faible, notre boulot est que cette petite marge soit la plus grande possible. C’est dans cet interstice qu’on se glisse.
Dasha, Product Delivery, Ukrainienne
5 am in the morning, my father call me, “call your grandparents” ! I never talk to him so I knew there was a problem. But I can’t reach them !
C’était donc arrivé ? On en parlait depuis des mois.
Marioupol, plus de gaz, plus d’électricité, pas de nouvelles de mes grands parents*. Au bout de quelques semaines, quelqu’un connaît quelqu’un qui les aurait vus…”
Je n’ai pas pleuré depuis le début, je ne m’autorise pas à me laisser aller à mes émotions.
Le choc c’est aussi comment les gens vous regardent quand ils savent que vous êtes ukrainien, “ça va ?”, “ça va ?”
I don’t like that.
C’est comme les gens qui cherchent à se mettre à ma place. Il ne faut pas chercher à être empathique, c’est MA réalité.
Do you want the truth ? They don’t want the truth ! Ils se sentent mal à l’aise. On sent ceux qui veulent une réponse honnête, qui demandent comment aider.
Je ne me projette pas, je vis au jour le jour. Normalement je n’ai pas besoin de voir d’autres Ukrainiens, maintenant on se donne les clés entre Ukrainiens.
* le 10 mai, les grand parents de Dasha ont été tués dans un bombardement”
Mathieu T, N°5 Mondial en Para-Badminton, en route pour Paris 2024
Mon plus gros choc, je l’ai eu au réveil de mon opération pour enlever la tumeur, vaincre le cancer, j’étais prêt ; mais je n’étais pas préparé au handicap…
De 17 ans à 30 ans, je me suis caché au point de rendre mon handicap invisible.
À 30 ans, j’ai accepté ma différence, puis ma singularité est devenue une force en me lançant le défi de faire les jeux paralympiques.
La difficulté première, c’est accepter sa différence, puis de mettre en lumière cette singularité pour soi et pour les autres.
Trouver sa singularité, nous permet de faire de grandes choses, c’est le message que je transmets !
Romain C, Champion Olympique d’épée Tokyo 2021
Le choc c’est la compétition, et plus l’enjeu que tu y mets est fort, plus les émotions à gérer sont fortes. Pour être à 100% dans le présent, tu dois gérer 100% de tes émotions, sinon elles te submergeront.
Pendant le combat, t’as tellement d’émotions que t’as plus d’émotions.
À la fin, tu cries, ça exprime la fin du combat mais pas du choc.
Les émotions prennent du temps à revenir, c’est comme quand tu reçois un coup : t’as pas encore mal, il y a un temps de décalage.
… et les Jeux c’est multiplié par 100 !
Philippe B, Ingénieur centralien, essayiste, promoteur de la sobriété et du « techno-discernement »
Au début des années 2000, j’ai compris, par des lectures d’ouvrages, que nous piochons dans un stock de ressources non renouvelables, comme la soixantaine de métaux différents qu’on trouve dans tout ce qui nous entoure
Le choc, ça a été une prise de conscience, on gâche ce fragile « capital » accumulé au cours des temps géologiques par la planète.
Je suis un technicien, de formation ingénieur… J’aime comprendre et voir comment les choses fonctionnent : les usines, les grands réseaux techniques, les mines, les raffineries…
Dans les premières années c’était presque obsessionnel, je voyais ce gâchis partout : l’acier au cobalt et tungstène des lames de rasoir, la fine couche d’étain sur les boîtes de conserve, le titane ou le zinc dans le dentifrice
Pour moi, il y a des enjeux moraux, éthiques. On conçoit des distributeurs de croquettes pour chats avec balance électronique et reconnaissance faciale, pour ne pas nourrir tous les chats du quartier. Mais les ressources ne seront plus disponibles pour le dentiste ou le chirurgien du XXIIe !
Ça m’a ouvert à la nécessité de sobriété, de passer d’un monde du consommer – jeter, à prendre soin – entretenir – réparer… transmettre aussi !
Liesbeth L, artiste
Le vendredi 13, je rentre à Paris. Le confinement tombe, c’est vraiment vrai – on va être confinés !
Je tourne en rond. Je dois communiquer avec l’extérieur, continuer à créer et à vivre, et avoir ce lien avec l’extérieur.
Je fais dans la sculpture normalement, une énergie créatrice positive – si je sculpte la trompe d’un éléphant, elle doit toujours être tournée vers le haut !
Là c’est la parole et le dessin qui se sont imposés ! On ne pouvait plus rien faire, il ne fallait surtout pas se toucher,
alors “the french kiss is the best” a été mon premier dessin !
Et puis c’est devenu un blog sur lequel je postais chaque jour un dessin accompagné d’une petite phrase pour apporter quelque chose de positif en face de l’actualité.
“Make the day count” / “Fais que ta journée compte”
David E, Astrophysicien, Chercheur, Romancier
J’ai rencontré les indiens Atacameños dans le désert d’Atacama au Chili où on construisait le plus grand télescope du monde, ALMA, qui signifie âme en espagnol
« Quand on regarde le ciel c’est pour que ça serve à quelque chose, toi, ta vision du ciel, qu’apporte-t-elle aux Hommes ?
Leur question a réveillé mon syndrome de l’usurpateur. Quand ils parlent de l’univers, ils parlent des Hommes. Pour eux, l’univers est un miroir.
J’ai vécu la rencontre de nos deux univers comme un choc silencieux et libérateur.
Le choc crée le vide et le vide ça crée un espace des possibles !
Je me suis entendu leur répondre que lorsqu’on regarde le monde avec nos deux yeux, avec deux perspectives différentes, ça fait émerger une troisième dimension. Alors je me suis autorisé à penser, à espérer à voix haute que la rencontre de nos deux regards fasse émerger une profondeur, un supplément de sens, élargisse nos champs de vision.
Ils ont souri. Je venais comme un expert scientifique, ils ont perçu ma fragilité, ça s’est joué dans les silences, ça a créé l’espace pour laisser passer des choses.
On a cherché à voir au-delà de nos deux déserts, terrestre et céleste.