Le Pays de la Meije, Sauvage, tour à tour Patagonie sous la tourmente, Himalaya rempli de spiritualités, steppes mongoliennes et terrasses à l’assaut des pentes, western tibétain, sagesses et vertiges des Hautes Alpes

Morgane L, chargée de communication, témoin d’un naufrage d’au moins 130 personnes survenu le 22 avril 2021 en Méditerranée centrale

Une épave, plus de pont, plus de moteur, plus rien, juste un flotteur gris ; s’il reste des personnes à sauver, elles sont dans l’eau. D’avoir ça sous mes yeux, ça m’a percutée, c’est encore vif dans mon corps et dans mon esprit !
On a secouru 236 personnes en tout. Arrivées à bord, certaines personnes s’écroulent, d’autres prient en larmes, certaines tombent, leurs jambes les lâchent.
L’après choc c’est venu une fois qu’on a débarqué. A bord, j’ai appris à mettre mes émotions de côté. J’ai appris à être une machine efficace. Après il y a la décompensation, ça revient, tu as des flashs… les restes d’embarcation qui flottent, des embarcations désespérément vides.
Je veux rendre leur voix aux personnes invisibilisées.
Le choc c’est ce qui permet d’agir. Il faut rendre le choc plus proche pour pousser à agir. En rendant le drame plus proche on est plus à même d’agir, pas par des chiffres que l’on brandit et qui n’ont plus de sens, mais avec de l’humanité. La main tendue, qui sauve.
Qu’est-ce qui me pousse à être exposée à ces chocs ?
Les états européens ont démissionné. Nous, les navires civils de sauvetage, nous sommes les derniers remparts de l’humanité.
Qui d’autre sinon nous ?

Pascaline M, Capitaine de sapeurs-pompiers

On croit que les sapeurs-pompiers sont antichocs, des Superman, mais l’uniforme n’est pas une carapace, ça ne donne pas des super-pouvoirs. Le plus gros choc pour moi, c’est quand je me suis retrouvée moi-même face à la mort lors de ma première intervention.
Pour moi le choc est lié à la perte des repères qu’on a construit, quand tout s’effondre comme un château de cartes, et nous avec. C’est quand on dit : “non, ce n’est pas possible !”
On a des choses en nous, des gènes intrinsèques, qui nous supportent plus ou moins, mais pour aller au-delà du choc, il faut reconstruire ses repères : on les perd , on se déforme et ensuite on se reforme. Et plus on y est confronté, plus on devient résilient. Il y a du positif après le négatif.
Au fil du temps on se renforce, sauf qu’il y aura peut-être une intervention au cours de laquelle on sera sidéré, parce qu’il est difficile de se préparer à l’impensable.

Solene,  employée  administrative,  mère  célibataire  de  3  enfants,  combattante  de  violences  conjugales

Je  survis,  je  suis  une  combattante  de  chaque  jour.
Je  suis  contre  le  terme  de  «  victime  »,  moi  je  suis  une  combattante.
Quand  on  me  menace  de  mort,  je  me  dis  que  ça  ne  va  pas,  que  ce  n’est  pas  acceptable.
Je  me  suis  dit  “plus  jamais  ça”.  J’ai  ouvert  la  boîte  de  Pandore  donc  il  a  fallu  que  je  travaille  sur  moi.  Avant  les  autres,  c’est  d’abord  soi-même  qu’il  faut  combattre.
J’ai  connu  la  violence  depuis  toute  petite  et  j’ai  eu  des  traumatismes  dès  le  plus  jeune  âge.  C’est  un  vrai  combat  pour se  reconstruire.
La  résilience,  pour  moi,  c’est  qu’il  y  a  des  actes  qui  se  sont  passés,  je  les  ai  pris  de  plein  fouet  parfois  quand  j’étais  à  fleur  de  peau  et  avec  le  recul  je  me  suis  dit  que  malgré  ce  qu’il  m’arrivait,  j’ai  eu  de  la  chance  d’être  entourée  de  mes  avocats,  de  psys,  de  médecins.  Ça  m’a  aidée  à  traverser  le  choc  étape  par  étape.
Le  choc  m’a  appris  la  patience,  à  profiter  des  petits  instants  de  la  vie  où  je  suis  là,  entourée  des  bonnes  personnes,  pour  moi  et  mes  trois  enfants.
Les  affiches  qui  parlaient  de  féminicide  étaient  choquantes  pendant  le  confinement.  Elles  dénonçaient  mais  ne  proposaient  pas  d’aide  pour  les  femmes  dans  ces  situations-là.  C’était  juste  très  violent  à  voir.
Beaucoup  de  partenaires  sociaux  préféraient  m’acculer  que  de  me  propulser  vers  une  dynamique  plus  saine.  C’était  aussi  violent

Et toi ? 

 

(Témoignages visiteurs face au miroir)

Le plus gros choc c’est quand j’ai appris que je ne pourrai jamais être papa. J’ai lu le courrier, je n’ai pas compris en le lisant.

 

A 13 ans sous un soleil de plomb, dans un cimetière du Sud de l’Europe, on ouvre le cercueil de mon oncle décédé jeune d’un accident de moto, lui qui allait se marier. Le cercueil ne devait pas être ouvert, ils scient le métal pour montrer le  corps. A 13 ans, je vois d’un coup mon enfance bénie de joie d’une famille nombreuse disparaitre. Je fuis et je rencontre celui qui aujourd’hui est mon mari.

 

Le choc, c’est quand tu te rends compte de l’impact écologique de ton mode de vie

 

Il y a une sorte d’appropriation et de familiarisation avec le choc, la souffrance devient un ami pas très agréable avec lequel on s’habitue. Je me suis acclimaté à la souffrance existante. Le désespoir est grandissant mais le choc est moindre.

En Photo : Jean-Paul B. Comédien, Acteur – Texte Eric Lenglemetz

Vendredi 13 mai, mon Odyssée sur le choc touche à sa fin.
Un mois de rencontres pour cette exposition, un mois de chocs, un mois que ce mantra me martèle ces mots : “Parce que survivre ne suffit pas”.
14h : dernier adieu à un ami “disparu trop vite”, “parti trop jeune”,  “faut profiter de la vie chaque jour” – à procrastiner au plus vite !
Dans le livre Eleven Seven d’Emily St. John Mandel, la civilisation s’est effondrée suite à une pandémie foudroyante. Une troupe d’acteurs et de musiciens, “la Symphonie itinérante”, nomadise entre de petites communautés de survivants pour leur jouer des pièces de Shakespeare et de la musique de Beethoven
“Parce que survivre ne suffit pas” est le WHY de la troupe, sa mission, sa raison d’exister.
Le soir-même, au théâtre de la Pépinière à Paris, Jean-Paul joue une comédie de Shakespeare. Après des mois de désert culturel, le public se délecte.
“Parce que survivre ne suffit pas”
Ma profonde gratitude à toutes celles et ceux qui ont accepté de partager leur expérience, et à la talentueuse équipe USI OCTO.

Eric Lenglemetz