En quête du supplément d’âme

Le point de départ de cet ouvrage ? Une année de célébration pour les 40 ans du Parc national du Mercantour et un court métrage réalisé par Luc Jacquet  pour l’occasion. Une irrésistible envie d’aller plus loin, de découvrir les habitants de ce territoire sur leur lieu de vie, au cœur de sept vallées.

Missionnés par le Parc national, nous sommes partis sur les traces de Wim, le héros du film de Luc Jacquet. L’histoire d’un photographe vagabond qui tire une carriole à travers le Mercantour. Dans un décor intemporel, Wim s’arrête au gré de ses rencontres pour déployer son studio photo, avec cette proposition : une photo contre une belle histoire.
Dans le film, il tient ses promesses et restitue leurs portraits aux habitants sous la forme de grands drapeaux flottant aux vents, en haut des crêtes de l’Authion. Les drapeaux au vent évoquent Ran de Kurosawa et les drapeaux tibétains qui laissent au vent le soin de porter les messages.


Voilà comment, « nous » – Noëlie et Eric – nous sommes substitués à Wim, pour interviewer et photographier des habitants du territoire, du Haut-Var au Cians, de l’Ubaye au Verdon, en passant par la Tinée et la Vésubie, jusqu’en Roya et Bévéra.

Se perdre dans des vallées en allant de belle rencontre en belle rencontre… Prendre le temps d’installer le studio ambulant d’Eric dans des conditions parfois cocasses… Essayer de capter et de restituer toute l’humanité de ces visages avec leurs parts d’ombre et de lumière que seul le Noir et Blanc pouvait révéler… C’est ainsi que, côté photo, le projet évoque Dorothea Lange ou Edward Sheriff Curtis, Richard Avedon, de grands photographes humanistes américains.

 

Côté témoignage, la réalisation de ce livre offre une belle opportunité : se concentrer sur un territoire délimité et protégé pour aborder des thématiques universelles résolument tournées vers l’avenir. Nature et cohabitation avec le sauvage ; cohérence et choix de vie ; débrouillardise et ingéniosité pour vivre en montagne ; écologie…

Dès le départ, nous avons quitté la côte méditerranéenne pour monter vers Péone, dans la vallée du Haut Var. Eclats de rire, découverte des couleurs éclatantes des gorges de Daluis, ambiance road  movie provençal alpin… La préparation et l’organisation de ce périple ont été brillamment orchestrées par le Service Valorisation et Sensibilisation du Parc national du Mercantour. L’équipe nous a donné carte blanche pour exprimer nos sensibilités artistiques et nos convictions.

Dès les premières rencontres, nous avons été saisis par l’intensité des échanges et happés par quelque chose qui nous dépassait. Les discussions se révélaient plus longues que prévues, l’émotion était souvent palpable, il ne s’agissait plus seulement d’évoquer un territoire… 

Nous avons, peu à peu, quitté des vallées aux contours administratifs bien délimités pour pénétrer sur une terre onirique; pour arpenter une carte imaginaire peuplée de pionniers, d’animaux mythiques, de philosophes et d’anciens…

Devenus chasseurs de l’invisible, nous sommes partis en quête du “supplément d’âme”, de cette étincelle qui illumine le regard de chacun lorsque l’on s’intéresse à ce qui le fait vibrer. Nous nous sommes métamorphosés en chercheurs d’or pour collecter des pépites de témoignages et capter cette petite lumière dans la rétine.

L’organisation de ce périple a laissé place au voyage et à l’imprévu des rencontres… “Vous devriez aller voir Georges, le berger aux brebis brigasques. A l’heure qu’il est, il monte avec son troupeau”. Voilà comment, par exemple, nous sommes partis sur les traces de Georges : Eric, clopin-clopant, une béquille dans une main, son appareil photo dans l’autre; Noëlie courant derrière le berger et son chien de travail avec son enregistreur audio.

Rencontre après rencontre, nous nous sommes interrogés sur ce que nous allions trouver derrière le prochain col, derrière la prochaine montagne. Quel personnage nous attendait là-bas ? Quelle philosophie, quelle conviction nous seraient partagées ? Il s’est parfois révélé difficile de garder la bonne distance et de ne pas entrer en résonance avec nos propres valeurs et choix de vie. 

De retour de cette aventure, nous avons déballé notre malle, un véritable trésor : images, belles histoires et parfois même amitiés. Nous avons soupesé chaque pépite, scruté les regards, réécouté chaque témoignage sonore, transcrit les paroles sur le papier… Nous avons reçu également des messages émouvants : “Il est des rencontres inachevées, on attend parfois une suite, mais elle n’arrive pas nécessairement, c’est donc l’image d’un moment précieux…”

Et s’est alors posée cette question : comment allons-nous partager, restituer tout cela ? Quel format privilégier ? Comment faire des choix ? A quoi renoncer ? Il n’était pas question d’établir une simple liste de noms par vallées, nous voulions partager toute cette humanité, questionner et peut-être même inspirer.

Mille fois nous avons retourné le sujet avant que 4 thématiques, forcément subjectives, n’émergent : La reconquête du sauvage ; Le relief qui façonne ; Un choix de vie et Un laboratoire de la modernité. Cet ouvrage témoigne d’un long travail de sélection, inévitable ; de retouches photo ; d’ajustements pour passer d’un témoignage brut oral à une transcription écrite sans dénaturer ou transformer les propos. 

Ce livre constitue aujourd’hui un grand kaléidoscope de témoignages sensibles sur un territoire qui nous a enchanté. A ceux qui vivent là-bas, nous espérons qu’ils retrouveront ici les vibrations de leur territoire. Aux autres, nous rappelons que ce livre ne représente qu’une infime partie de sa richesse.

 

 Merci

Noëlie et Eric

Avril 2019